La Princesse de Clèves : dissertation
Sujet : En quoi la Princesse de Clèves peut-elle être considérée comme une héroïne tragique ?
On retrouve dans certains livres ce qu'on appelle le héros tragique. C'est le cas du roman La Princesse de Clèves écrit par Madame de Lafayette et publié en 1678. En effet, l'héroïne de ce livre peut être qualifiée d'héroïne tragique, c'est-à-dire à moitié coupable, à moitié innocente, et sur laquelle s'abat le destin. Tout cela nous amène donc à nous poser la question suivante : en quoi la Princesse de Clèves peut-elle être considérée comme une héroïne tragique ? Pour répondre à cette question, nous allons dans une première partie analyser ce qui fait de Madame de Clèves quelqu'un de parfait, et dans une seconde partie expliquer en quoi est-ce que la structure de ce roman peut faire penser à celle de la tragédie classique.
La Princesse de Clèves est dotée d'une perfection physique et morale.
On remarque chez elle une beauté et une grandeur d'âme évidentes. En effet, dans son roman, Madame de Lafayette insiste énormément sur la beauté de cette jeune femme. A peine âgée de seize ans, celle-ci ébloui, par sa beauté, (dans un premier temps) beaucoup d'hommes de la Cour : « Il parut alors une beauté à la Cour, qui attira les yeux de tout le monde » Mais ce n'est pas la seule qualité qu'elle possède, une autre chose lui donne plus de charme encore : sa grandeur d'âme. L'éducation que sa mère, Madame de Chartres, lui a donné a énormément contribué à cela. Elle a réussi à faire de sa fille quelqu'un de parfait moralement parlant. Mais peut-être un peu trop. Car c'est justement cette vertu qui a fini par la rendre malheureuse. Cette princesse, si sage, a écouté et appliqué les dernières paroles de sa mère, qui lui sommait de ne point céder à la tentation d'entretenir une relation avec le duc de Nemours. Et pourtant, dès le départ, plusieurs choses auraient pu empêcher ce mariage, comme le fait que le père du prince de Clèves était contre celui-ci, ou encore le fait qu'elle ne l'aimait pas, ou même que plein d'autres hommes envisageaient de la conquérir. Mais en mourant, le duc de Nevers, le père du prince de Clèves, ne pouvait plus rien contre les desseins de son fils. En effet, celui-ci n'avait à présent plus aucun obstacle dressé devant lui qui pouvait l'empêcher d'épouser Madame de Clèves. Cette femme, vertueuse comme personne ne l'avait jamais été, a condamné à son tour son mari en lui avouant son amour pour un autre. Le besoin d'être honnête est tel, qu'elle ne peut s'empêcher de garder pour elle la violente passion qui l'anime. Mais elle ne fait pas la nuance entre le fait de ne pas être honnête et le fait de garder certains de ses sentiments et pensées secrets. Certaines choses sont faites pour demeurer nulle part ailleurs que dans notre propre esprit, et c'est aussi ce que nous montre ce roman. Par cet aveu, elle a également plongé le duc de Nemours dans une profonde et infinie tristesse, car celui-ci réalise très rapidement que sa vertu sera un obstacle à toute possibilité de vivre un jour une histoire d'amour avec elle : « Je crois devoir à votre attachement la faible récompense de ne vous cacher aucun de mes sentiments et de vous les laisser voir tels qu'ils sont. Ce sera apparemment la seule fois de ma vie que je me donnerai la liberté de vous les faire paraître ». « Condamné » est le mot exact pour définir le destin du prince de Clèves, qui ne se remettra jamais de la peine qu'il éprouve et qui finalement mourra. Dans un sens, on peut dire que c'est l'honnêteté de la princesse qui a causé sa mort et qui plus tard causera également sa perte puisque ne supportant plus d'être malheureuse elle finit par mourir à son tour, laissant le duc de Nemours dans une tristesse sans égal. Il est malheureux de constater qu'une personne dotée d'une telle grandeur d'âme a un destin aussi tragique que celui-ci. Nous pouvons penser qu'elle est maudite, car chacun des événements la conduit tout doucement vers une mort certaine. On note tout de même le courage dont elle a fait preuve jusqu'à la fin de ses jours, d'être restée fidèle à ce qu'on lui a enseigné : être vertueuse.
La principale faiblesse de Madame de Clèves est très certainement son innocence. On constate rapidement que sa mère ne l'a pas suffisamment préparé à la réalité qu'elle allait devoir affronter en arrivant à la Cour. Elle lui a souvent parlé d'amour, ce qui est déjà une excellente chose, mais ce dont la jeune femme avait besoin pour avoir assez d'assurance et être moins naïve, c'est qu'elle lui parle de la réalité, aussi rude soit-elle. En effet, nous le voyons dans ce roman, l'amour est à la fois quelque chose de beau et de dangereux, puisqu'au commencement d'une vie sentimentale, il est courant de faire preuve de naïveté. C'est le cas de la princesse, qui a dans un premier temps une vision idéalisée de l'amour, et qui se rend compte, au fil du temps, que ce n'est pas forcément synonyme de bonheur et de sérénité. Dans le cas de la Princesse de Clèves, et de beaucoup d'autres femmes auparavant, elles débutent leur vie amoureuse directement par un mariage. Les décisions que la princesse prend ont donc beaucoup plus de portée. Et en fin de compte, sa vertu, peut-être trop grande, l'a poussé à se diriger dans de mauvaises directions. Elle n'était pas prête à vivre tout cela. L'auteure nous montre l'innocence de la Madame de Clèves tout au long du roman. En effet, cette dernière aurait pu éviter bien des malheurs si elle n'avait pas été si innocente, comme son propre mariage par exemple. Elle pensait, en épousant le prince de Clèves, qu'avoir de l'estime et du respect pour lui, lui suffirait à être heureuse dans son couple. Alors, même si elle n'avait aucune attirance particulière envers lui, elle a pris la décision d'accepter de l'épouser : « Mademoiselle de Chartres répondit qu'elle lui remarquait les mêmes bonnes qualités, qu'elle l'épouserait, même avec moins de répugnance qu'un autre, mais qu'elle n'avait aucune inclination particulière pour sa personne. » D'autre part, sa naïveté l'a empêchée de prendre conscience du fait qu'en avouant son amour pour le duc de Nemours, elle allait, d'une certaine manière, provoquer la mort de son mari. Peut-être aussi pensait-elle être apaisée suite à son aveu. Ce qui pourrait presque s'apparenter à de l'égoïsme. Cependant nous savons que ce n'est pas l'égoïsme qui l'a poussé à faire une telle chose, mais plutôt sa naïveté, celle de croire qu'en lui avouant tout, tout allait être résolu, que tout allait rentrer dans l'ordre. Alors qu'en réalité, cela n'aurait rien pu changer. Les sentiments qu'elle éprouve, et sa tristesse, n'allait pas pour autant s'atténuer. On peut penser que la Princesse de Clèves est à la fois responsable de tout le malheur qui lui arrive, et de celui qu'elle a engendré. On peut aussi penser que rien de tout cela n'est de sa faute, et que c'est sa mère qui, sans le vouloir, l'a contrainte à faire les mauvais choix. En effet, elle est responsable de cette situation, puisqu'elle a justement fait certains choix. Elle aurait totalement pu ignorer les recommandations de sa mère, et prendre ses propres décisions. Elle était parfaitement libre de décider de ne pas épouser le prince de Clèves, parfaitement libre aussi de décider de garder certaines choses pour elle, et ainsi ne pas entraîner la mort de son époux. D'un autre côté, elle n'est pas responsable de l'éducation que lui a donnée sa Madame de Chartres. Elle a même du mérite d'avoir suivi les conseils de celle-ci, qui lui a toujours appris à quel point la vertu était une chose importante. L'innocence elle aussi a ses bons et ses mauvais côté : elle permet à la jeune femme de se protéger intérieurement de certaines réalités parfois trop dures à accepter. Si elle n'avait pas été innocente, et ce dès sa plus tendre enfance, la vie lui aurait sans doute paru bien trop difficile à supporter. Cependant, elle a aussi énormément de mauvais côté : elle l'a poussé à prendre les mauvaises décisions dans certaines situations, à ne pas toujours voir le danger quand il y en avait un qui se présentait à elle, et à dire des choses dont elle n'imaginait pas la portée. L'innocence de Madame de Clèves n'a su finalement engendrer que tristesse et malheur.
Le dilemme auquel la Princesse de Clèves fait face est terrible. Au-delà du choix entre la passion et la raison, c'est aussi un choix entre le bonheur et la tristesse et entre la malhonnêteté et la vertu. Rien ne pourrait être plus difficile. Elle est partagée, et quelle que soit la décision qu'elle aurait pu prendre, celle-ci l'aurait rendue malheureuse. Mais il fallait qu'elle en prenne une, peser le pour et le contre pour être sûre d'opter pour la meilleure option (ou du moins, la plus supportable pour elle et son entourage). Toutes les pensées de la princesse se bousculent. Et pour cause ! Suivre sa passion lui permettrait de vivre le parfait amour avec le duc de Nemours. Son cœur serait alors comblé et tous les deux seraient heureux. Seulement, elle trahirait le prince de Clèves et aurait par la même occasion l'impression de se trahir elle-même, elle qui est si vertueuse. C'est donc aussi un dilemme entre suivre qui elle est et qui elle n'est pas. Mais en réalité nous ne savons pas si elle-même sait qui elle est réellement. On peut supposer que toutes ses actions sont le reflet de sa personnalité, mais aussi qu'elles reflètent uniquement celle de sa mère, qu'elle a toujours écoutée et dont elle a suivi les recommandations tout au long de sa vie sans aucune réticence. Enfin, suivre sa raison l'affecterait énormément puisqu'elle ne pourrait entretenir une quelconque relation avec le duc de Nemours. Mais l'honnêteté et la sagesse donc elle ferait preuve ne l'inonderait pas de honte et de dégoût pour elle-même. Du moins, un peu moins que si elle cédait à sa passion, puisqu'elle a tout de même honte de ce qu'elle ressent. Tout cela soulève une nouvelle question : vouloir suivre ce genre de passion fait-il de nous une mauvaise personne ? Dans ce livre nous comprenons que la réponse est à la fois oui et non. Ce qui serait malhonnête de la part de Madame de Clèves serait qu'elle trompe son mari, lui qu'il lui accorde tant de confiance et qui l'estime tant. Cependant, suivre ce qu'elle ressent vraiment est le mieux qu'elle puisse faire pour elle-même, pour avoir accès au bonheur. Mais cela ne veut pas dire pour autant que cette solution est la meilleure à prendre pour ses proches. Le « dilemme » est représenté de différentes manières tout au long du roman, puisqu'on voit qu'elle désire partager son amour avec Monsieur de Nemours même lorsqu'elle ne le dit pas, étant donné que son langage corporel parle à sa place. En effet, Madame de Lafayette répète de nombreuses fois que la princesse rougit à la vue ou à la pensée de celui-ci : « Madame de Clèves rougit et, baissant les yeux sans regarder Monsieur de Nemours (…) ». Elle se trahit également en le fuyant quelques fois, puisqu'elle n'aurait aucune autre raison de ne pas vouloir le voir que celle qui la pousse à s'en éloigner. Ce dilemme, qui est la cause de ses tourments, finit par prendre fin. Nous pourrions penser qu'il prend fin au moment où elle prend la décision de rester fidèle à son mari, c'est-à-dire après la mort de sa mère, Madame de Chartres. Mais aussi lorsqu'elle avoue au duc de Nemours son amour pour lui, mais qu'elle clarifie la situation en lui expliquant qu'elle ne souhaite pas trahir la mémoire de son défunt mari. Cependant, la vérité est qu'il prend fin au moment de sa propre mort. Car même lorsqu'elle prend la décision d'être fidèle à Monsieur de Clèves, le fait qu'elle éprouve encore des sentiments pour monsieur de Nemours créer inconsciemment dans son esprit une sorte de dilemme. Car au fond d'elle-même, bien que la raison la pousse à ne pas commettre un acte qu'elle pourrait regretter par la suite, ce qu'elle aimerait, c'est vivre une belle histoire avec le duc. La seule raison qui l'a poussée à choisir son mari, est sa conscience. Nous pouvons dire que la vie est assez injuste avec elle. Elle la met face à des obstacles quasiment impossibles à surmonter. Tous ces éléments soulèvent une fois de plus une question : qu'aurait-du-t-elle choisir, la passion ou la raison ? Il n'y a pas de bonne réponse à cette question. La réponse dépend de la manière dont chacun voit les choses. Mais nous savons dans tous les cas, qu'il n'y aurait pu avoir que des conséquences tragiques, car on croirait presque que la vie s'est acharnée contre elle, la mettant face à des choix impossibles, qui l'amènent tous à une même fin triste et sans espoir.
La structure du roman peut faire penser à celle de la tragédie classique.
Certains événements scellent le destin de la Princesse de Clèves. Le premier est sans doute son mariage avec le prince de Clèves, qui l'a condamnée à vivre avec une personne qu'elle n'aime pas et à ne pas pouvoir rencontrer un homme avec qui elle aurait pu être heureuse. Cette rencontre, et le coup de foudre du prince pour elle, vont provoquer une suite d'événements toujours plus sombres que les précédents. Entre autres, il y a la mort du duc de Nevers, le voyage du duc de Nemours en Angleterre, puis un peu plus tardivement la mort de Madame de Chartres, comme nous l'avons mentionné précédemment. Si le duc de Nemours n'avait pas été en Angleterre, peut-être se seraient-ils rencontrés avant que la princesse ne se soit engagée, et peut-être même avant qu'elle ne rencontre le prince de Clèves. Nous ne savons pas ce qui aurait pu se passer si cela avait été le cas, mais nous pouvons imaginer qu'aucun obstacle n'aurait pu alors empêcher l'union de ces deux âmes-sœurs. On se rend bien compte que c'est un véritable concours de circonstances et non un seul événement qui va la mener à suivre un seul et même chemin, qui la conduira vers la mort. Car, nous l'avons bien compris, le destin de la Princesse de Clèves est celui de mourir dans la tristesse : « Elle passait une partie de l'année dans cette maison religieuse et l'autre chez elle, mais dans une retraite et dans des occupations plus saintes que celles des couvents les plus austères, et sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables. ». Cela soulève donc une question : peut-on échapper à son destin, ou sommes-nous condamnés à vivre une vie dont les événements sont déjà prédéfinis et auxquels nos actions, quelles qu'elles soient, ne changeront rien ? Puisque le fait de dire que certains événements scellent notre destin, sous-entend qu'il y a des choses qui font que l'on ne peut y échapper, et par conséquent qu'il y a aussi un moyen de changer, d'influencer, ou d'échapper à celui-ci. Et cela sous-entend deux choses supplémentaires, qui sont que la Princesse de Clèves ne pouvait rien contre son destin puisque celui-ci était scellé, mais également qu'elle aurait probablement pu faire en sorte d'éviter certains événements pour pouvoir influencer et changer le cours de l'histoire, de sa vie. Malgré tout, cette dernière possibilité est peu probable, puisque la structure du roman de Madame de Lafayette, rappelle celle de la tragédie classique. Les règles ne sont pas les mêmes, là où nous pouvons voir en temps normal tout un champ de possibilité, celui-ci est assez réduit dans la tragédie classique, qui obéit à des règles strictes. Cependant, nous ne pouvons exclure l'hypothèse que Madame de Clèves puisse avoir une influence sur son destin puisqu'après tout, ce livre n'en est pas une. Effectivement, ce ne sont que quelques éléments qui nous y font songer. Nous ne savons pas jusqu'à quel point l'auteure a décidé de suivre ces règles, qui peuvent tout-à-fait être appliquées à la lettre, ou ne pas l'être, en ce qui concerne le destin de Madame de Clèves. Dans la tragédie classique, le héros se caractérise par sa grandeur d'âme et son courage pour affronter son destin. Par ailleurs, il est confronté à un destin tragique, auquel il ne peut échapper, et qui le conduit la majorité du temps vers une mort certaine. C'est l'une des choses qui montre que certains éléments du roman de Lafayette nous rappellent la tragédie classique. Nous pouvons d'ailleurs faire un parallèle avec l'histoire de Phèdre de Jean Racine. Dans laquelle, l'héroïne Phèdre fait tout pour lutter contre les sentiments qu'elle éprouve pour son beau-fils, mais qui n'y parvient pas puisque son destin est scellé par la malédiction qu'a jeté Vénus à toute la descendance d'Hélios avant même qu'elle ne soit née. Nous retrouvons donc sensiblement le même scénario dans La Princesse de Clèves, celui d'un héros qui ne peut éviter l'issue tragique de son destin.
La vie de la Princesse de Clèves est un combat incessant. Et c'est là aussi une des choses qui caractérise et nous rappelle la tragédie classique, dans laquelle le héros est dans une lutte permanente. Une lutte contre des événements extérieurs, et bien souvent aussi contre lui-même. Dans le cas de Madame de Clèves, il s'agit justement des deux. Dans ce roman, ce combat incessant est représenté par le va-et-vient entre la raison et la passion après un passage d'introspection. En structurant l'histoire de cette manière, Madame de Lafayette permet au lecteur de prendre pleinement conscience de la puissance, du pouvoir que les tourments de l'héroïne ont sur elle. Rappelons-le, la tragédie classique vise à susciter de la crainte et de la pitié pour le personnage. Sa structure est la suivante : il y a l'exposition de la situation et des personnages, avant qu'un élément perturbateur oblige ensuite les personnages à trouver une solution au problème qu'ils rencontrent, enfin, le dénouement se traduit par la mort d'un ou de plusieurs personnages. Il y a également ce qu'on appelle la règle des trois unités, qui est composée de l'unité de lieu, de l'unité de temps, et enfin de l'unité d'action. Ainsi que les règles de bienséance, et de vraisemblance. On peut constater que, de toute évidence, Madame de Lafayette n'aurait pas pu davantage faire preuve de vraisemblance dans l'écriture de ce livre. En l'occurrence pour ce qui est du sujet du combat incessant. En effet, toutes les questions que la princesse se pose, tous ses tourments, sa lutte constante contre les événements tragiques qui se déroulent, et toutes les angoisses qui planent perpétuellement au-dessus d'elle sont parfaitement réalistes. Toute personne faisant face à ce genre de situation accueillerait tout cela exactement de la même manière. Par ailleurs, la notion d'introspection est importante à relever. C'est un moment où l'héroïne se recentre sur elle-même, où elle réfléchit à ce qu'elle désire, ce qu'elle ne désire pas. C'est aussi un moment où elle ressent le besoin de s'éloigner de tout le monde qui l'entoure, car elle veut se retrouver avec elle-même. Ce passage est illustré par le fait qu'elle décide de se retirer dans sa maison à Coulommiers, loin de la Cour et de ses histoires : « Il faut m'arracher de la présence de Monsieur de Nemours, il faut m'en aller à la campagne ». La nature très présente à cet endroit l'apaise et lui permet de se concentrer sur ce qu'elle ressent, et sur personne d'autre. Elle a besoin de cette pause, de ne plus penser à son mari qu'elle a peur de blesser, à l'histoire d'amour qu'elle manque avec le duc de Nemours. Ce passage a lieu dans un moment où son choix était celui de la raison, mais qu'elle se sentait bien trop malheureuse pour supporter la réalité que cela impose, et qui provoque chez elle la tentation de suivre sa passion. Ce passage d'introspection lui permet d'avoir un moment de tranquillité, bien qu'elle soit loin d'avoir atteint un état de paix intérieure. Les va-et-vient entre la raison et la passion, ainsi que le passage d'introspection illustrent bien la réflexion de la princesse, qui veut être vertueuse mais qui ressent aussi le besoin d'être heureuse, et qui réfléchit autant que le temps peut le lui permettre. Mais ce combat intérieur est autodestructeur, et la réflexion poussée au-delà d'un certain seuil est néfaste pour elle-même. Elle finit par altérer son jugement sur certaines choses, et l'entraîne parfois dans des chemins dangereux et sans issue.
Là encore, de la même manière que dans une tragédie classique, La Princesse de Clèves a une visée moralisatrice. Madame de Clèves est si vertueuse, qu'elle en devient un modèle. Jusqu'à son dernier souffle, elle n'a suivi qu'une seule voie, celle de la sagesse. On peut d'ailleurs considérer qu'elle a beaucoup de mérite, puisque ce n'est pas le choix de la facilité. Concrètement, rien ne l'empêchait de faire le choix le moins éprouvant pour elle, celui de céder à la passion, excepté sa conscience. La morale de cette histoire bouleversante montre tout simplement au lecteur l'importance de la vertu. Et même si, parfois, les meilleures décisions à prendre ne sont pas les plus simples, il faut se rappeler que c'est parfois celles qui peuvent faire de nous de bonnes personnes. En temps normal, la morale d'une tragédie classique nous apprend que les passions, entraînent des conséquences dramatiques, tragiques. Par l'intermédiaire de la morale, la tragédie incite les spectateurs à ne pas imiter les actions des héros tragiques. En effet, même si dans le roman les choses ne sont pas dites exactement de la même manière, la morale, portée sur la vertu, rappelle au lecteur la gravité des répercussions que peuvent avoir les passions. L'auteure dit, à la fin du livre : « sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables». Ce qu'a accompli la Princesse de Clèves est tout simplement extraordinaire. Et Madame de Lafayette incite le lecteur à suivre cet exemple, ce modèle, qui est l'incarnation même de la sagesse. Même si la vertu ne fait pas forcément de nous quelqu'un d'heureux, elle fait de nous de belles personnes. À l'époque à laquelle ce livre a été écris, la sagesse était une chose exceptionnelle et essentielle. Tout le monde accordait beaucoup d'importance à cette qualité, qui est aujourd'hui bien plus ignorée. L'objectif pour les femmes de l'époque était de ne faire que de bonnes actions, d'avoir un comportement irréprochable. On voit bien que cette morale est adressée principalement aux femmes, beaucoup moins aux hommes. Elles se devaient d'être sages, honnêtes, contrairement à ces derniers qui n'avaient pas toutes ces obligations. En avouant ses sentiments pour le duc de Nemours à son mari, la princesse a pris un énorme risque, mais la peur due à cette prise de risque a été totalement effacée par la volonté et l'envie d'être irréprochable. Nous nous posons donc une énième question : n'est-il pas indispensable d'être innocent pour pouvoir faire preuve d'une sagesse sans égard ? Là est toute la question. Il est probable que lorsque nous sommes innocents, nous sommes poussés à faire ce qui semble être le mieux sans trop se poser de question sur ce que nos actions peuvent engendrer, provoquer. Il y a plusieurs siècles, les femmes, qui n'étaient pas préparées à toutes les réalités auxquelles elles allaient devoir faire face au cours de leur vie une fois mariées étaient, pour la grande majorité, innocentes. Il y avait une certaine volonté à vouloir éloigner les jeunes femmes de tout ce qui pouvait leur faire prendre conscience de ce qu'est réellement la vie, et les épreuves qui en font partie. Être entièrement vertueux, comme l'est la Princesse de Clèves, n'est pas chose aisée lorsque nous ne sommes pas naïf, innocent. Et constater la difficulté à faire preuve d'une vertu comme celle de la jeune femme, renforce la vision que nous avons de sa beauté intérieure, et par conséquent de la morale de cette histoire. Nous retrouvons bien là la morale de chaque tragédie classique, puisqu'en lisant ce roman, le lecteur est conscient du fait qu'il ferait tout pour ne pas subir ce que la Princesse de Clèves a dû supporter, et retient bien le fait que « passion » n'est pas toujours synonyme de « bonheur ». Enfin, nous pouvons dire que le mélange des caractéristiques de la tragédie classique avec celles du roman donne une dimension différente à l'histoire, car c'est en partie un moyen de renforcer certains éléments, certaines actions du roman.
Madame de Clèves peut assurément être considérée comme une héroïne tragique. Plusieurs procédés rappelant ceux de la tragédie classique, que Madame de Lafayette a utilisée dans son roman, nous montrent à quel point c'est une personne tourmentée qui essaie par tous les moyens d'échapper à sa passion en prenant parfois les décisions les plus difficiles qui soient. En effet, elle est contrainte de faire des choix impossibles, et fait face à une lutte intérieure, un combat incessant contre les sentiments qu'elle éprouve pour le duc de Nemours. La Princesse de Clèves est, en fait, l'image du héros tragique par excellence. C'est une femme qui fait preuve d'une grandeur d'âme et d'un courage incomparables face au destin qui l'empêche sans cesse d'accéder au bonheur, et qui l'entraîne vers la mort.