Juste la fin du monde : Extrait scène 3, Acte I - Analyse linéaire
Le texte à analyser est le suivant :
Parfois, tu
nous envoyais des lettres,
parfois tu
nous envoies des lettres,
ce ne sont
pas des lettres, qu'est-ce que c'est ?
de petits mots,
juste des petits mots, une ou deux phrases,
rien,
comment est-ce qu'on dit ?
elliptiques.
« Parfois,
tu nous envoyais des lettres elliptiques. »
Je pensais,
lorsque tu es parti
(ce que j'ai
pensé lorsque tu es parti),
lorsque j'étais
enfant et lorsque tu nous a faussé compagnie
(là que ça
commence),
je pensais
que ton métier, ce que tu faisais ou allais faire dans la vie,
ce que tu
souhaitais faire dans la vie,
je pensais
que ton métier était d'écrire (serait d'écrire)
ou que, de
toute façon
- et nous
éprouvons les uns et les autres, ici, tu le sais, tu ne peux pas ne pas le
savoir, une certaine forme d'admiration, c'est le terme exact, une certaine
forme d'admiration pour toi
à cause de
ça -,
ou que, de
toute façon,
si tu en
avais la nécessité,
si tu en
éprouvais la nécessité,
si tu en
avais, soudain, l'obligation ou le désir, tu saurais écrire,
te servir de
ça pour te sortir d'un mauvais pas ou avancer plus encore.
Mais jamais,
nous concernant,
jamais tu ne
te sers de cette possibilité, de ce don (on dit comme ça, c'est une sorte de
don, je crois, tu ris)
jamais, nous
concernant, tu ne te sers de cette qualité
- c'est le
mot et un drôle de mot puisqu'il s'agit de toi -
jamais tu ne
te sers de cette qualité que tu possèdes, avec nous, pour nous.
Tu ne nous
en donnes pas la preuve, tu ne nous en juges pas dignes.
C'est pour
les autres.
Analyse linéaire :
La relation que l'on entretien avec les membres de notre famille peut parfois être compliquée. Jean-Luc Lagarce est né en 1957 et est décédé en 1995. C'était un comédien, un metteur en scène, un directeur de troupe et un dramaturge français. Il apprend à ses 31 ans qu'il est atteint du sida et qu'il est donc condamné, et rédigera deux ans plus tard (en 1990) la pièce de théâtre Juste la fin du monde. Cette pièce de théâtre, est donc une tragédie dans laquelle le personnage principal (Louis) revient voir sa famille pour leur annoncer sa mort prochaine. Le texte à étudier est un extrait du monologue de Suzanne, issu de la scène 3 de l'acte I, et dans lequel elle s'adresse à son frère, Louis. Pour analyser ce texte nous nous posons donc la question suivante : en quoi le monologue de Suzanne traduit-il la complexité de la relation qu'elle entretient avec Louis ? Pour répondre à cette question, nous allons dans une première partie parler de l'importance de Louis et de ses actes pour Suzanne et dans une deuxième partie analyser jusqu'où les complexes de Suzanne par rapport à son frère peuvent la conduire.
Même s'ils ne se sont pas vus depuis longtemps, Louis a une place très importante dans le cœur de Suzanne.
Les lettres que Louis envoie à sa famille sont le principal moyen de communication que Suzanne a connu avec lui. Dès les premières lignes, nous pouvons constater que certaines figures de style sont utilisées à de nombreuses reprises. Dans les deux premiers versets on note une symploque, puisque les mots commençant et terminant le verset suivant « Parfois, tu nous envoyais des lettres » sont repris au début et à la fin du verset « parfois tu nous envoies des lettres ». Mais on trouve également un polyptote car « envoyais » est par la suite remplacé par « envoies » : « Parfois, tu nous envoyais des lettres, / parfois tu nous envoies des lettres ». Deux temps y sont employés : l'imparfait, qui dans cette phrase est utilisé pour indiquer des faits habituels qui n'ont plus lieu, puis le présent remplaçant cet imparfait, qui est un présent d'habitude. Il y a donc la volonté de Suzanne d'être claire dans ses propos, puisque dans un premier temps elle fait tout pour ne pas heurter Louis, d'où le polyptote. Le mot « lettres » est répété à de nombreuses reprises au début du texte. Cela montre l'importance que celles-ci ont pour Suzanne, car en réalité c'est quasiment la seule chose qui leur permet à elle et au reste de la famille d'entretenir un lien (aussi minime soit-il), avec Louis. Cela montre aussi l'attachement qu'elle a pour lui. Les polyptotes, eux, montrent son envie d'employer les bons mots et la peur de faire des erreurs devant ce frère qu'elle imagine si cultivé et qui manie si bien les mots. S'ensuit la question « ce ne sont pas des lettres, qu'est-ce que c'est ? », dans laquelle elle se contredit par rapport aux versets précédents, puisque les mots qu'elle qualifiait de « lettres » ne sont à présent selon elle « pas des lettres ». Il y a ici une allitération en [s] qui met en valeur la réflexion et l'hésitation dans la voix de Suzanne. On voit la crainte de ne pas avoir utilisé le bon mot en parlant de « lettres ». Cependant la question qu'elle pose est une question rhétorique, puisque l'on voit dans la phrase suivante qu'elle n'attend pas de réponse de la part de son frère et qu'elle répond elle-même à sa propre question. Cela montre son besoin de parler, de dire les choses, de dire tout ce qu'elle n'a pas pu lui dire pendant toutes ces années. Et ce besoin entraîne un certain empressement qui fait qu'elle n'a ni la patience ni la volonté d'attendre une réponse et qu'elle finit par y répondre elle-même. On note ensuite une aphérèse : « de petits mots ». Ainsi qu'une épanorthose : « de petits mots, juste des petits mots, une ou deux phrases, / rien ». L'utilisation de l'adverbe « juste » montre que Suzanne aimerait recevoir davantage de signe d'affection de la part de Louis et que ses « petits mots » ne lui suffisent pas, car leur contenu est très faible. La répétition de « petits mots », qui permet à Suzanne d'ajouter à cette expression l'adverbe « juste », qui montre parfaitement ce qu'elle pense et ce qu'elle ressent. L'épanorthose mentionnée précédemment montre la détresse de la jeune femme, mais aussi la difficulté de Louis à communiquer avec sa famille, puisque il ne fait que leur écrire sans pour autant leur rendre visite. De plus ce sont des lettres dans lesquelles il ne dit presque rien, c'est pour cette raison qu'elles sont qualifiées d' « elliptiques ». Dans le verset « Parfois, tu nous envoyais des lettres elliptiques. » on note une allitération en [t]. Ce son, plutôt bref, rappelle la longueur, presque toute aussi brève, du contenu de ces lettres. Mais cela montre aussi l'amertume et la franchise avec laquelle Suzanne dit ces mots. En effet, elle utilise de nouveau l'imparfait car malgré le fait qu'elle ne veuille pas heurter Louis, elle ressent tout de même l'envie et le besoin de dire ce qu'elle pense. Elle veut également lui faire comprendre à travers cette phrase, que le fait qu'il ait cessé de leur écrire des lettres l'attriste beaucoup. Après avoir cherché ses mots à plusieurs reprises, Suzanne reformule sa phrase en montrant à Louis, et en se montrant à elle-même par la même occasion, qu'elle a elle aussi du vocabulaire, puisqu'elle utilise un mot soutenu pour décrire les lettres qu'il écrit : « elliptiques ».
Le départ de Louis a véritablement affecté Suzanne. On relève la présence d'une anaphore rhétorique puisque « je pensais » est répété à trois reprises en début de verset. Le fait d'insister sur ce mot montre l'espoir qu'a entretenu Suzanne pendant des années. Car le fait de penser et donc d'imaginer ce que son frère fait dans sa vie montre une curiosité de sa part, et par conséquent l'envie de le connaître, l'espoir qu'il ait fait de sa vie quelque chose qui lui plaît et dans lequel il est doué. Elle espérait qu'il devienne celui qu'elle a imaginé. Dans les versets « Je pensais, lorsque tu es parti / (ce que j'ai pensé lorsque tu es parti) » on note à la fois un polyptote et une épiphore. Il y a également l'emploi d'un nouveau temps, qui est le passé-composé : « lorsque tu es parti ». L'emploi de ce temps montre ici que Suzanne sait inconsciemment, ou non, que Louis, malgré le fait qu'il soit revenu voir sa famille ce jour-là, est parti pour de bon et qu'il n'entretiendra pas de lien avec sa famille après son départ. D'une certaine manière elle s'est faite à l'idée que son frère n'est plus là, que ce soit dans le passé, au moment où elle parle, ou à l'avenir. « (ce que j'ai pensé lorsque tu es parti) » : elle se corrige une fois de plus, et les parenthèses soulignent le fait qu'elle veuille utiliser les bons mots devant son frère, puisqu'en plus, elle s'apprête à lui parler du don qu'il a pour l'écriture. Elle complexe. Quand elle dit ensuite « lorsque j'étais enfant et lorsque tu nous as faussé compagnie » on comprend qu'elle lui fait un reproche et que le fait qu'il soit partie l'a atteinte. La conjonction de coordination « et » et la répétition du mot « lorsque » permet à Suzanne d'accentuer chaque partie de sa phrase. Cela peut traduire plusieurs choses. A la fois l'envie de faire comprendre à Louis qu'elle n'était encore qu'une enfant à ce moment-là et que son départ l'a beaucoup affectée. Mais également qu'à partir de l'instant où il est parti, elle a cessé d'une certaine manière d'être une enfant car cette épreuve lui a enlevé une partie de son innocence (qui lui donnait l'image erronée d'une famille soudée, unie) et donc une partie de ce qui faisait d'elle une enfant à ce moment-là. On trouve ensuite une aphérèse : « (là que ça commence) ». Cette fois-ci les parenthèses ne lui servent pas à rectifier sa phrase, mais plutôt à ajouter une précision à ce qu'elle est en train de dire. Les aphérèses peuvent ici traduire non seulement la difficulté à s'exprimer, mais également l'empressement, car l'envie de dire plein de choses, de dire tout ce qu'elle a sur le cœur, tout ce qu'elle pense. L'absence de points de « Je pensais, lorsque tu es parti » à « te servir de ça pour te sortir d'un mauvais pas ou avancer plus encore. » traduit aussi cela, puisque même s'il y a beaucoup de virgules, il n'y a pas de points et donc pas de pauses dans cette partie du monologue. Nous notons ensuite la présence d'une symploque, d'un polyptote, et d'une épanorthose dans les versets suivants : « ce que tu faisais ou allais faire dans la vie, / ce que tu souhaitais faire dans la vie ». L'auteur utilise énormément de figures de style, cependant il s'agit souvent des mêmes. Il choisit celles qui font le plus ressentir la difficulté pour les personnages de s'exprimer, ainsi que les complexes qu'a, en l'occurrence, Suzanne face à ce frère qui a évolué dans un milieu différent du sien et qui est très instruit, et très cultivé. Les symploques sont assez nombreuses puisque presque à chaque fois qu'elle reformule une idée pour lui apporter plus de justesse, elle ne se contente pas de corriger uniquement le mot ou le groupe de mots qui ne convient pas, elle reprend toute la structure principale de la phrase pour le faire. Et l'alliance des épanorthose, des polyptotes, et des symploques montre qu'elle n'est pas toujours à l'aise avec les mots qu'elle emploie, puisqu'elle essaie de s'adapter à son frère au lieu de rester elle-même. On arrive tout de même à déceler un certain franc-parler chez elle, qui en temps normal lui permet de dire les choses franchement et clairement sans qu'elle ne se reprenne à chaque mot. Au final cela montre aussi, au-delà de la joie, le malaise que l'arrivée de Louis a créé. Car même si une partie d'elle est contente de le revoir après tant de temps, elle n'est pas complètement à l'aise avec lui. On remarque la présence d'une anaphore rhétorique puisque « je pensais que ton métier » est dit à deux reprises : « je pensais que ton métier, ce que tu faisais ou allais faire dans la vie, / ce que tu souhaitais faire dans la vie, / je pensais que ton métier était d'écrire (serait d'écrire) ». Ces mots montrent qu'elle a toujours cru en son frère et en son talent pour l'écriture, qui est une des choses qui représente le plus Louis pour elle car c'est le moyen de communication qu'il utilisé pendant des années avec sa famille. Mais elle voit que Louis ne parle presque pas, et le fait de lui parler de tout cela montre qu'elle veut aussi faire comprendre à son frère qu'il devrait lui parler et se livrer davantage. Mais c'est assez paradoxal puisqu'elle ne s'arrête pas de parler, ce qui ne laisse pas la place à Louis de dire ce qu'il a sur le cœur. On peut en conclure qu'elle sait, malgré le fait qu'elle espère le contraire, qu'il ne dira pas un mot, et ce, même si elle lui laissait le temps de parler. Elle utilise de nombreuses fois les parenthèses pour se corriger, comme on peut le voir ici : « je pensais que ton métier était d'écrire (serait d'écrire) ».
Les complexes que Suzanne a par rapport à son frère se traduisent ici de différentes manières.
Suzanne a bien conscience du fait qu'elle a du mal à s'exprimer et met cela entièrement sur le compte d'un manque de culture, de connaissances. Elle nourrit d'une certaine manière son complexe en se faisant une image parfaite de Louis sur le plan intellectuel. Cela lui ajoute une pression supplémentaire, qui lui fait dire les choses autrement qu'elle voudrait le faire, ce qui l'amène à se reprendre constamment, ce qui, enfin, la fait complexer davantage. Elle trouve son frère plus instruit qu'elle, ce qui fait qu'elle éprouve une certaine admiration pour lui : « - et nous éprouvons les uns et les autres, ici, tu le sais, tu ne peux pas ne pas le savoir, une certaine forme d'admiration, c'est le terme exact, une certaine forme d'admiration pour toi / à cause de ça - ». Les tirets permettent d'interrompre la continuité de la phrase, ce qui permet à Suzanne de dire et d'expliquer une chose importante qui lui vient à l'esprit sur le moment. On peut constater que c'est ici qu'il y a le plus d'allitérations et d'assonances réunies. En effet, il y a une allitération en [s], mais aussi en [t], et en [r], qui servent à donner un certain rythme à cette partie du texte et à mettre chaque mot en valeur, puisque chacun de ces mots est important et qu'il est important pour Suzanne de les dire. Il y a également une allitération en [l], et en [n], qui apportent une certaine douceur à la phrase, une douceur comme le sont ses paroles puisqu'elle le complimente. Enfin on trouve une assonance en [a], un son ouvert qui ici montre l'admiration qu'éprouve la famille de Louis en pensant à lui et la joie qu'ils ont de voir à quel point il est doué dans ce qu'il fait, et intelligent. C'est à partir de ce moment-là qu'elle commence réellement à parler de ce qu'elle ressent et de ce qu'elle pense. Jusqu'alors il fallait deviner l'émotion qu'elle mettait derrière chacun de ses mots, et à présent elle dit les choses de manière plus directe. Le fait qu'elle répète « une certaine forme d'admiration » montre aussi une certaine distance entre Louis et sa famille. Elle dit cela comme s'il s'agissait d'un inconnu, d'une star, d'un chanteur par qui elle et sa famille seraient émerveillés. On mesure là toute la distance que le départ de Louis a créée entre lui et sa famille. D'une certaine façon, on peut dire qu'ils l'ont en partie oublié. Elle répète les mots qu'elle avait prononcé avant le passage mis entre deux tirets pour reprendre le fil de ce qu'elle disait : « ou que, de toute façon ». Elle veut aller au bout de ses pensées. On trouve deux figures de style dans les deux versets suivants, qui sont la symploque et l'épanorthose : « si tu en avais la nécessité, / si tu en éprouvais la nécessité ». En lisant le verset d'après, on remarque qu'il y a cette fois une anaphore rhétorique et non une symploque, puisque seul le début de celui-ci est constitué des mêmes mots que les deux versets précédents, et non la fin : « si tu en avais, soudain, l'obligation ou le désir, tu saurais écrire ». On trouve aussi dans ce verset, qu'on l'associe ou non aux deux versets précédents, une épanorthose. Ainsi qu'une assonance en [i], un son aigu qui renvoie aux émotions qu'elle ressent au moment où elle parle, qui sont la mélancolie, la tristesse, et le désespoir. Car ne sachant pas ce qui pousse Louis à être si distant avec eux, elle s'imagine toutes sortes de choses, et pense même qu'il se croit supérieur à eux.
Les complexes de Suzanne transforment l'admiration qu'elle éprouvait jusqu'alors en colère. Plus elle parle, plus elle trouve le vocabulaire adapté à ce qu'elle souhaite exprimer. Elle en profite donc pour s'ouvrir encore un peu plus, ce qui laisse entrevoir davantage ses sentiments. On trouve une allitération en [r], qui vient montrer la présence de la colère qui monte petit-à-petit, dans le verset « te servir de ça pour te sortir d'un mauvais pas ou avancer plus encore ». La présence de ce son vient également donner un certain rythme, qui renvoie au fait d' « avancer ». On constate ici que Suzanne a toujours pensé que le « don » de Louis ne lui servirait pas uniquement dans le milieu professionnel. Elle voit cela comme une chance, une opportunité de pouvoir parfaitement s'exprimer, et ce, de différentes manières. Elle pense que l'écriture peut être pour lui un moyen de s'évader, de se réfugier lorsque quelque chose ne va pas, et que les mots, et plus particulièrement ceux que l'on écrit, sont le reflet de nos pensées. Que l'on peut y lire les envies, les peurs, la personnalité de chacun, peu importe ce que l'on écrit. On comprend donc, dans le verset « Mais jamais, nous concernant, / jamais tu ne te sers de cette possibilité, de ce don (on dit comme ça, c'est une sorte de don, je crois, tu ris) », qu'elle est convaincue que le fait d'écrire de vraies lettres et non des « lettres elliptiques » aurait pu aider Louis, et que s'il avait adressé à sa famille une lettre dans laquelle il avait transcrit ses pensées, tous auraient aujourd'hui beaucoup plus de facilité à communiquer. Suzanne sait que cela n'aurait pas été un avantage uniquement pour son frère, mais également pour les proches de ce dernier. La répétition de « jamais » montre sa colère et sa déception, puisqu'elle aimerait être davantage proche de ce grand frère qu'elle connait si peu et qui reste si distant avec elle. On note une épanorthose puisqu'elle considère que parler de « possibilité » n'est pas un terme assez puissant pour décrire son talent, et que, par conséquent, le terme « don » est plus approprié. On retrouve également l'usage de parenthèses, puisqu'une fois de plus, la jeune femme craint de ne pas employer les mots justes, elle n'est pas sûre d'elle. Il y a dans les versets « jamais tu ne te sers de cette possibilité, de ce don (on dit comme ça, c'est une sorte de don, je crois, tu ris) / jamais, nous concernant, tu ne te sers de cette qualité » une allitération en [t]. Un son dur, explosif, qui correspond bien à la colère qu'elle ressent. On a l'impression qu'elle a peur que Louis la juge sur sa manière de s'exprimer. Cette peur se justifie par le fait qu'elle n'arrive pas à deviner ce qu'il pense puisqu'elle ne le connaît pas réellement. On trouve une fois de plus la présence de tirets : « - c'est le mot et un drôle de mot puisqu'il s'agit de toi - ». Elle a tellement de choses à l'esprit (et elle veut toutes les exprimer), qu'elle n'attend pas la fin d'une phrase pour le faire, car elle risquerait d'oublier et d'avoir le sentiment de ne pas s'être livrée complètement alors qu'elle a là, la seule opportunité de le faire. De plus, même si elle ne sait pas que c'est en effet sa seule opportunité parce que son frère va mourir, elle sait qu'elle n'aura probablement pas deux occasions comme celle-là. On retrouve une fois de plus une allitération en [t] : « jamais tu en te sers de cette qualité que tu possèdes, avec nous, pour nous ». Et dans le verset suivant on trouve une allitération en [n] ainsi que plusieurs figures de style : « Tu ne nous en donnes pas la preuve, tu ne nous en juges pas dignes ». En effet on remarque la présence d'une anaphore rhétorique, et d'une épanorthose, qui vient montrer à quel point elle se sent blessée par l'attitude du jeune homme. On remarque aussi la répétition du mot « nous », comme si elle voulait rappeler à Louis que sa famille existe bel et bien et qu'il ne doit pas les ignorer. Cette phrase montre à quel point ils se sentent complexés. En réalité elle lui reproche non pas un fait, mais plutôt une chose qu'elle s'est imaginée, et en oublie le fait que ce qu'elle croit n'est pas forcément la vérité. Elle a le sentiment qu'il se considère supérieur à eux, tout simplement parce qu'elle-même se croit inférieure à lui d'un point de vue intellectuel. La dernière phrase est assez courte contrairement aux précédentes : « C'est pour les autres. ». Elle sert à résumer ses dernières paroles. Celles-ci sont par ailleurs très claires, et les points sont plus nombreux. A la fin, ses idées sont mieux organisées, car elle sait ce qu'elle veut dire et de quelle manière elle veut le dire.
La
relation de Suzanne et de Louis est assez complexe. En effet, ils sont frères
et sœurs et pourtant, ils ne se connaissent pas vraiment. Chacun a évolué dans
des milieux différents et cela créer quelques tensions. C'est assez compliqué
pour Suzanne de revoir ce frère après tant d'années, ce frère qu'elle admire
tant, mais qui est également la cause de nombreux complexes et tourments. C'est
une femme qui a du caractère, mais qui en la présence de ce frère doute
d'elle-même, ne parvient presque pas à faire une phrase sans se corriger par la
suite, car il est difficile pour elle de se sentir complètement à l'aise face à
cet homme qu'elle juge beaucoup plus instruit qu'elle. Elle n'arrive pas à se
comporter avec lui comme avec son autre frère, et Louis qui est très distant ne
parvient pas à ôter les doutes qu'elle peut avoir et à instaurer une complicité.
Finalement, l'auteur montre que la difficulté à communiquer est la source de la
complexité de la relation entre Suzanne et Louis.